Vert chez vous - Logique écologique des livraisons

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Par Sandrine Tranchard/Vivienne Rojas
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Vecteur essentiel de notre économie, le transport de marchandises est un secteur en progression, mais ses coûts logistiques et ses impacts environnementaux augmentent en parallèle. Heureusement, un travail d’harmonisation à grande échelle est annoncé pour établir des référentiels en matière de consommation de carburant et de réduction des émissions de ce secteur, dans l'espoir d’en diminuer l'empreinte carbone.

Depuis qu’a surgi le spectre du réchauffement climatique, voilà bientôt quarante ans, nous nous efforçons de faire machine arrière. Au cours du siècle dernier, la température moyenne de la Terre a augmenté de 0,8 °C et, d’après les projections, une hausse de 4 °C à 5 °C est à redouter sur les cent années à venir. Sachant que la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique est largement prouvée, quelle logique suivons-nous quand nous partons travailler tous les jours en voiture, ou quand nous nous envolons vers des contrées lointaines pour nos vacances d'été, aussi méritées soient-elles ?

Les transports représentent la moitié de la consommation mondiale de pétrole et près de 20 % de la consommation mondiale d'énergie, dont environ 40 % pour les seuls transports urbains. Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), ce pourcentage devrait doubler d'ici 2050, en dépit de l’amélioration technologique constante des véhicules, qui consomment du reste de moins en moins. Si la mobilité accrue a de nombreux avantages, la multiplication des déplacements crée de nouveaux défis, et la quantité d'émissions de CO2 rejetée dans l'atmosphère en est un de taille.

Le fret, c’est porteur

C’est pourtant le cadet de nos soucis ! Selon l’Agence américaine pour la protection de l’environnement (EPA), le secteur des transports produit 28 % des émissions totales de gaz à effet serre, dont près de 30 % sont imputables au transport de marchandises. Notre économie repose sur ce secteur. Avec l’augmentation du volume des échanges commerciaux, les transports internationaux ont gagné une importance de plus en plus grande pour la livraison des marchandises dans le monde entier. Sur le marché dynamique d'aujourd'hui où tout évolue à grande vitesse, des milliards de tonnes de marchandises sont acheminées aux quatre coins de la planète pour satisfaire, en toute saison, les goûts et les exigences des consommateurs.

La rapidité de livraison au marché est décisive, en particulier pour les denrées périssables. Comment pourrait-on autrement faire venir nos ananas d'Amérique centrale, nos avocats d'Israël et les articles divers fabriqués en Chine ? L’expansion du commerce est telle qu’il faudrait, sur la planète, pratiquement 25 millions de kilomètres de routes en plus, 335 000 kilomètres de voies ferrées en plus, et 45 000 km2 à 77 000 km2 de surface de parking supplémentaire pour le parc des voitures en stock – une infrastructure qui pourrait coûter jusqu’à USD 45 milliards d’ici 2050

Mais les problèmes ne s’arrêtent pas aux émissions de CO2. La pollution de l'air par les transports routier, maritime et aérien est, dans les pays en développement, une préoccupation croissante et l’un des principaux facteurs nocifs pour l’environnement. La consommation de carburant et l'impact environnemental du transport des marchandises sont élevés du seul fait de la dimension des véhicules, des navires, ou des moteurs impliqués, des distances parcourues, de l'âge des véhicules et des navires, et de leur mauvais état d’entretien. De plus, c’est bien connu, dans ces régions du monde, l’adoption de carburants propres et de technologies modernes est très lente. Bientôt, on peut le craindre, ces transbordements de marchandises qu’impliquent nos modes de vie globalisés risquent de tous nous asphyxier !

Le secteur du fret ayant bien mesuré les enjeux, de nombreuses parties prenantes ont commencé à investir dans des stratégies de réduction de l’empreinte des transports. Pourtant, malgré la démarche écologique engagée ces dernières années dans le secteur, la consommation d'énergie et les émissions de carbone associées y ont augmenté plus rapidement que dans n'importe quelle autre branche de l’industrie.

Pourquoi ? Parce que ce secteur ne disposait pas de méthode fiable de calcul et de réduction des émissions de CO2 sur les différents maillons de la chaîne logistique. Ces dernières années, les gouvernements, l’industrie et le secteur commercial ont lancé des initiatives pour y remédier. Précieux point de départ, ces initiatives pèchent toutefois par le manque de cohérence des approches en termes de comparabilité et de précision des mesures de l'empreinte carbone. Par exemple, quels sont les gaz à effet de serre à prendre en compte ? Faut-il inclure dans le calcul les émissions provenant de certains éléments précis de la chaîne logistique ?

Il est urgent d’établir une méthodologie applicable à tous les maillons de la chaîne logistique, pour tous les modes de transport, et dans toutes les régions.

Agir pour réduire

Notre économie repose sur le secteur du fret.

Organisation à but non lucratif dont la vocation est de promouvoir un commerce de fret plus écologique, le Smart Freight Centre (SFC) recherche activement des moyens de réduire l'intensité des émissions et d'accroître l'efficacité énergétique. La réduction des émissions de carbone implique un ensemble d’actions concomitantes : politiques gouvernementales, initiatives menées par l'industrie pour atteindre des objectifs établis et pression de la société civile pour des transports de fret plus propres.

La solution n'est pourtant pas si simple. Comme l’explique Sophie Punte, Directrice du SFC, « la complexité du secteur du fret est en soi un facteur important, car, quoique fragmentés, les différents maillons de la chaîne logistique, avec différents modes de transport couvrant différentes régions, sont interdépendants. La question déborde donc la sphère d'influence des pays et des entreprises ». Or, diverses méthodes ont été développées en parallèle par différentes entreprises, différents pays et différentes associations pour différents modes de transport de fret. L’enfer est pavé de bonnes intentions, on le voit ici aussi, puisque cette prolifération d'initiatives isolées, dont la plupart adoptées sans débat public ni coopération, n’a fait que compliquer la situation.

Rationnaliser la situation

Aujourd'hui, les prestataires de transport disposent d’un nombre ahurissant de méthodologies. Comme le confirme Alan Lewis, Directeur opérations pour une société de conseil spécialisée dans le domaine de la recherche en politique des transports, Transport & Voyage Research Ltd., « on s’est beaucoup activé autour de la question de l'empreinte carbone du transport de fret, avec l’établissement de méthodologies, d’outils de calcul et de programmes pour encourager la réduction des émissions ». Pourtant, à l’heure actuelle, seule l’Europe a établi un mode de calcul des émissions de la chaîne logistique, et, aux États-Unis, un programme de l'EPA principalement sur le transport routier et ferroviaire vient tout récemment d’établir des modèles pour d’autres modes de transport.

Sur la scène internationale, les efforts ont porté essentiellement sur le développement du référentiel ISO/TS 14067 pour l'empreinte carbone des produits. Selon l’éminent expert, Klaus Radunsky, qui a contribué à l’élaboration du document et à l'attribution du prix Nobel de la paix au Groupe d'experts inter-gouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), « il n'y a, dans le cas présent, aucune règle de quantification spécifique pour aucun mode de transport en dehors de l’aviation ». L’établissement de méthodes cohérentes et harmonisées pour quantifier les émissions de CO2 du transport de fret est, il en convient, une nécessité bien réelle.

Pour ajouter à la confusion, des associations axées sur le marché comme le Clean Cargo Working Group, le groupe de travail IATA pour la réduction des émissions carbone, EcoTransIT et NTM encouragent les entreprises à adopter une démarche plus durable en leur fournissant des méthodologies et des outils. Malheureusement, quoique efficace, l’offre proposée concerne souvent un mode de transport spécifique et est alors trop spécialisée pour se prêter à une application plus large. On compte en plus tous les systèmes des entreprises, les initiatives nationales, et un éventail de méthodologies stupéfiant.

Combler les lacunes

Il est urgent d’établir une méthodologie applicable à tous les maillons de la chaîne logistique.

Malgré des efforts récents, il reste encore des lacunes en ce qui concerne la couverture géographique, certains aspects techniques et certains maillons de la chaîne logistique. Aucune des normes mondiales n’aborde véritablement l'ensemble des questions à prendre en compte pour une approche internationale et multimodale des nombreuses chaînes logistiques. Les lignes directrices qu’elles fournissent n’ont qu’un intérêt limité pour l'élément transport du cycle de vie des produits et elles sont trop générales pour obtenir des calculs cohérents détaillés.

Par ailleurs, il faut plus de cohérence pour les paramètres chiffrés utilisés pour décrire ces calculs et pour les facteurs d'émissions par défaut quand les données mesurées ne sont pas fiables ou tout simplement inexistantes.

Pour Radunsky, l’harmonisation s’impose. Comme le transport est souvent transfrontalier, un consensus international est absolument nécessaire et pourrait contribuer de manière significative à une gestion efficace et rentable des émissions de GES.

Un cadre spécifique

Initiative récente des acteurs du fret, le Global Logistics Emissions Council (GLEC) coordonné par le SFC, est un premier pas intéressant dans la lignée des initiatives régionales et modales établies, dont les associations précédemment mentionnées. Des travaux démarrés en juillet 2014 sur un Accord d’atelier international ISO (IWA) pour le transport de fret y apporteront un complément utile. En fournissant à l'industrie, aux pouvoirs publics et à la société civile une plateforme d’entente ouverte pour examiner les pratiques en vigueur et les résultats des activités en cours dans des contextes comme le GLEC, l'IWA se focalisera sur un aspect bien spécifique : la nécessité d’établir des méthodes harmonisées pour une quantification cohérente des émissions de CO2 dans le transport de fret.

La tâche n’est pas aisée car elle implique une synthèse de l’ensemble des expériences et des méthodes existantes. Elle devrait toutefois aboutir à la mise au point d’un plan d'action avec répartition des rôles et des responsabilités au sein d’un groupe de parties prenantes et établissement d’un calendrier pour l'élaboration d'une norme harmonisée et viable pour l’avenir.

Comme le relève Punte, le GLEC est doublement intéressant: il fournit un cadre pour une méthode universelle et transparente à laquelle tout le monde pourra souscrire, et propose une large ébauche pour en développer et déployer les grands axes. L’IWA s'appuiera sur ces activités et sur d'autres initiatives de manière à obtenir le soutien des parties prenantes sans refaire les travaux à double ou remplacer les initiatives existantes.

Une approche universelle (ou presque)

La complexité du secteur du fret est un facteur important.

Alors, par quoi commencer ? Punte connaît la réponse : « Le fret est un secteur commercial ; il est donc important de laisser l'industrie prendre les devants et élaborer un cadre adapté à ses besoins. » Les normes futures doivent s'appuyer sur la vision élaborée et validée par l'industrie et les autres parties prenantes lors du dernier atelier sur le projet européen COFRET pour l’empreinte du fret tenu en octobre 2013.

Le cadre mondial GLEC pour les méthodologies applicables aux émissions liées au transport de fret est fixé par l'industrie pour donner aux prestataires de transport et de logistique des lignes d’action adéquates. L’application en sera globalisée, c’est essentiel, et couvrira tous les modes de transport et tous les éléments de la chaîne logistique, de sorte que les émissions des terminaux et des entrepôts seront pris en compte sur des bases de comparaison établies. L'intérêt de l’IWA tiendra aussi à la prise en compte de points de vue différents, ceux des législateurs, des ONG, des décideurs et des universitaires, qui valideront l’acceptabilité du cadre pour toutes les parties prenantes.

Tout cela est bien beau en théorie, mais le transport de fret est multimodal (routier, aérien, ferroviaire et maritime ou fluvial), et la mesure de l’empreinte carbone implique souvent des méthodologies différentes selon le mode concerné. À tout le moins, un cadre international veillera à ce que les règlements déjà applicables au niveau mondial, aux transports aérien et maritime notamment, soient intégrés dans les méthodes de calcul. Une norme générale, même imparfaite, nous aidera à nous rapprocher un peu plus de nos objectifs.

En ce qui concerne ces objectifs, Lewis et Punte partagent le même avis. En fin de compte, fournir des calculs-repères fiables avec une couverture géographique suffisante devrait aider les entreprises à acheminer les marchandises de la façon la plus propre et la plus efficace possible, en choisissant des moyens et des modes économes en carburant, en établissant des déclarations des émissions et en identifiant les technologies et les stratégies de réduction des émissions les plus viables. Quant à nous, pouvons-nous être raisonnables et éviter de consommer tous les jours des ananas frais ?


Sandrine Tranchard
Sandrine Tranchard

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