Un monde d'obstacles

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Par Elizabeth Gasiorowski-Denis
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Rania Python a 29 ans, et les obstacles, elle connaît. Malvoyante à la naissance, Rania nous fait part de ses défis, de ses combats et de ce que peuvent faire les normes pour améliorer le quotidien – le sien, comme celui de tout le monde.

Se déplacer d’un endroit à un autre ne présente, pour la plupart d’entre nous, aucune difficulté. Pour ceux qui souffrent d’un handicap ou de mobilité réduite, en revanche, un obstacle ou une volée de marches peuvent poser de sérieux problèmes. En d’autres termes, les dispositifs auxquels le commun des mortels ne fait pas attention peuvent causer d’importantes difficultés aux personnes qui n’ont pas les mêmes capacités – dans la majorité des cas, ces difficultés pourraient être évitées si les besoins des personnes handicapées étaient mieux pris en compte à la conception.

Photo: Rania Python

La jeune Rania en sait quelque chose. Malgré son handicap visuel, Rania travaille comme traductrice indépendante à Chavannes, en Suisse, et traduit de l’italien, de l’anglais et de l’allemand en français, sa langue maternelle. Cette année, elle a décidé de relever un nouveau défi en se présentant à l’élection de Miss Handicap, un concours de beauté pas comme les autres organisé chaque année en Suisse pour les personnes handicapées. Rania espère ainsi devenir leur porte-parole et défendre leur droit à l’autonomie. Mais elle a surtout à cœur de changer le regard que la société porte sur les personnes handicapées, pour qu’on leur donne l’opportunité de réussir et qu’elles soient enfin reconnues comme des citoyens à part entière.

Nous avons rencontré Rania pour qu’elle nous fasse part de ses défis et de ses combats, et de ce que peuvent faire les normes pour lever les obstacles qu’elle rencontre au quotidien et lui simplifier la vie.

ISOfocus : Que veut dire le mot « accessibilité » pour une personne aveugle ?
Qu’y a-t-il de plus difficile lorsqu’il t’est impossible d’accéder à un lieu ou à quoi que ce soit d’autre ?

Rania : L’accessibilité est pour moi synonyme de liberté. Le plus difficile, dans une situation d’inaccessibilité, c’est que je ne peux pas être autonome. Je dois souvent demander à ma famille ou à mes amis de m’accompagner. Il m’arrive même de devoir demander de l’aide à de parfaits inconnus, ce qui peut être particulièrement compliqué. Lorsque je me déplace seule, il arrive que j’aie du mal à trouver une bonne âme disposée à m’aider et cela me fait perdre beaucoup de temps. C’est très décourageant, on a si peu de temps !

Quels domaines considères-tu comme les plus avancés en termes d’accessibilité ? Dans quelle mesure en profites-tu ?

Sans hésiter : l’informatique et le multimédia. Grâce à des technologies spécialisées, j’ai pu suivre une scolarité normale, je peux écrire, lire et accéder à Internet. La Toile est une mine d’informations pour moi. Nul besoin de scanner des livres de cuisine, par exemple, je trouve toutes sortes d’idées en ligne et peux ainsi concocter de délicieux repas.

L’accessibilité est pour moi synonyme de liberté.

La téléphonie mobile a aussi fait d’importants progrès en matière d’accessibilité, je pense notamment aux smartphones. Un synthétiseur vocal bien caché dans mon iPhone – le logiciel VoiceOver d’Apple spécialement conçu pour les personnes malvoyantes – me permet d’accéder à de nombreuses applications pratiques, notamment les horaires de train, les cartes et les données GPS.

D’un autre côté, en termes d’intégration sur le marché du travail, l’accessibilité laisse vraiment à désirer, et c’est fort regrettable ! À qualifications égales, n’importe qui devrait pouvoir trouver un travail et faire valoir ses compétences.

Les gens se rendent rarement compte des difficultés que doivent affronter les personnes handicapées. Que pourrait-on leur dire pour qu’ils soient plus tolérants ?

Tout d’abord, je dirais qu’il faut se comporter normalement lorsque l’on parle à une personne handicapée. Dans mon cas, certains essaient désespérément d’éviter les mots « tu vois » lorsqu’ils m’adressent la parole – j’en ris à chaque fois ! Même si je ne « vois » pas les choses comme tout le monde, cela ne m’empêche de « voir » ce qu’ils veulent dire.

Certains attendent qu’on leur dise comment interagir avec une personne handicapée, autrement ils se sentent perdus. Il faudrait mener davantage de campagnes de sensibilisation. Il devrait y avoir plus de groupes de discussions dans les écoles et au travail pour qu’un dialogue s’engage et que les gens sachent en quoi notre quotidien est « différent ». Poser des questions reste la meilleure façon de s’informer ; c’est pourquoi je ne me formalise pas lorsque les gens m’interrogent sur mon mode de vie, tant qu’ils restent polis et qu’ils ne me traitent pas comme une enfant.

Ce n’est pas parce que l’on ne voit pas que l’on ne peut pas mener une vie normale et épanouie. Le plus dur reste de s’orienter dans un environnement inconnu. Fort heureusement, j’ai un chien-guide qui m’accompagne depuis mes 17 ans et qui m’aide énormément. Mais si les gens étaient plus disposés à aider, la vie serait beaucoup plus simple. N’hésitez pas à proposer votre aide – elle est généralement très appréciée.

Y a-t-il des normes que tu aimerais voir élaborées pour améliorer la qualité de vie des personnes malvoyantes ?

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Mon ordinateur et sa bande d’affichage en braille, grâce auxquels je peux lire et écrire, comme tout le monde.
Photo : Rania Python

Les normes informatiques, je dirais. Je me retrouve souvent dans l’impasse lorsque je veux consulter un site Web, acheter en ligne ou accéder à des services d’e-banking à cause de leur incompatibilité avec mon synthétiseur vocal et mon système d’affichage en braille. Puisque la technologie est censée nous rendre plus autonomes, il me semble important que tout le monde, sans exception, puisse y avoir accès.

Il y a également les applications GPS, qui aident les malvoyants dans leurs déplacements. Un système de guidage vocal, par exemple, nous permet de nous orienter seuls, en toute sécurité, dans certains grands centres commerciaux et certaines gares. Pouvoir franchir toute seule de tels obstacles est extrêmement gratifiant, mais sans l’aide d’une personne voyante, il est très difficile d’apprendre à connaître ce genre d’espaces, en particulier les magasins, où les articles changent constamment de place. Mais il y a du progrès : certaines applications sur iPhone donnent la liste des ingrédients de certains produits lorsqu’on en scanne le code à barres.

Pourquoi t’es-tu lancée dans le concours de beauté Miss Handicap ? Que représente la « beauté » pour toi ?

Ce concours était une excellente opportunité pour moi de m’engager pour une meilleure intégration des personnes handicapées au travail. J’ai obtenu une Maîtrise universitaire (MA) en traduction en juin 2011 mais j’ai du mal à trouver un emploi. Je donnerais n’importe quoi pour avoir la chance de travailler dans mon domaine, parce que la traduction est ma passion et que je tiens à exercer mon savoir-faire. Avec ce concours, j’espère changer les mentalités et donner aux personnes handicapées de meilleures perspectives professionnelles

Si les gens étaient plus disposés à aider, la vie serait beaucoup plus simple.

Dans Miss Handicap, la beauté est au second plan. Ce qui compte, ce sont les candidats et leur volonté d’améliorer le sort des personnes handicapées. C’est un moyen de communication pour montrer à la société que, malgré notre handicap, nous suivons la mode et soignons notre apparence comme tout un chacun. En ce qui me concerne, je n’attache pas trop d’importance à la beauté physique. Je suis bien plus sensible aux odeurs, aux voix, aux comportements et aux idées. Quelqu’un de beau, c’est avant tout quelqu’un de respectueux, de sympathique et qui aide les autres. C’est à ces qualités que tient la beauté, vous ne trouvez pas ?


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Elizabeth Gasiorowski-Denis

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