La fabrication additive (FA), souvent désignée à tort « impression 3D » dans les médias, est un marché en pleine expansion. En atteste le taux de croissance annuel composé de 34,9 % enregistré par ce secteur en 2014, soit la plus forte progression obtenue en 17 ans. Selon le Rapport Wohlers 2014 – la référence sur l’évolution du secteur de la FA – les principales applications de cette technologie sont le secteur des machines industrielles et de l’outillage avec 18,5 % de part de marché, suivi des appareils électroniques, des véhicules motorisés et des dispositifs médicaux. L’aéronautique représente un autre marché porteur à surveiller, où l’on voit des groupes comme Airbus recourir à des procédés de FA pour produire des pièces métalliques complexes pour les aéronefs de nouvelle génération.
Même si l’on parle souvent d’impression 3D, une machine de fabrication additive n’a rigoureusement rien à voir avec une imprimante classique 2D. Pour faire court, il s’agit d’une machine qui permet de fabriquer des pièces ou des objets en superposant des couches de matière à partir des données numériques d’un modèle tridimensionnel commandé par un ordinateur. La FA elle-même fait partie intégrante du processus de développement de produits servant à la fabrication de prototypes, d’outils et de pièces industrielles. Au lieu d’usiner une pièce à partir d’un matériau, la fabrication additive permet de construire des structures en 3D par pulvérisation de poudres ou de fluides. Il existe en vérité diverses catégories de procédés et la FA est un principe qui peut répondre à une large gamme d’applications technologiques.
Logique historique
Aussi innovante soit-elle, la technique qui consiste à créer des objets par superposition successive de matière est vieille comme le monde. Songez à la fabrication de la poterie avec la technique du colombin avant l’invention du tour de potier ou à la façon dont les hirondelles construisent leurs nids, petit à petit. Il s’agit là en fait de la manière la plus naturelle de construire des géométries complexes. N’oublions pas non plus que les procédés pour réaliser des photographies et des cartes tridimensionnelles ont été brevetés dès les années 1800.
Rien de bien nouveau donc ? Pas tout à fait, car ce n’est qu’avec le développement de la technologie informatique que la modélisation tridimensionnelle inhérente à la définition de la fabrication additive a pu être mise au point. L’impulsion fut donnée par le secteur de la construction automobile américaine pour faire face à l’âpre concurrence que lui livraient les constructeurs japonais dans les années 1980. Les deux principaux écueils auxquels ce secteur se trouva confronté concernaient la gestion du temps et des coûts : le processus de développement de nouveaux modèles était tout simplement devenu trop long et trop cher. Dès lors, plusieurs procédés de « prototypage rapide » furent mis au point – un ensemble de techniques permettant de fabriquer rapidement un modèle à l’échelle d’une pièce physique à l’aide d’un logiciel de CAO – préfigurant la fabrication additive que l’on connaît aujourd’hui.
Rapidité d’obtention des pièces
L’intérêt de la fabrication additive est qu’elle permet de pallier les limites de la fabrication traditionnelle. S’il est une chose que les ingénieurs savent bien, c’est qu’ils seront amenés à modifier ou à reprendre la conception de leur prototype en cours de production. La fabrication additive leur donne toute latitude pour reconcevoir une pièce et innover sur-le-champ, sans retard ni conséquences financières. Cette liberté présente de nombreux avantages: raccourcissement des échéanciers de production, amélioration de la qualité des produits, diversification des modèles, et en fin de compte, augmentation des revenus.
Cette rationalisation de la fabrication traditionnelle, grâce à des procédés plus courts, permet également de réduire l’empreinte écologique liée à la production. Les machines de FA peuvent analyser les fichiers de CAO pour déterminer le temps de fabrication d’une pièce et la quantité de matière nécessaire avant même de commencer leur travail. Il y a très peu de déchets et un considérable gain de temps. L’intérêt : un processus de conception et de développement des produits plus fluide qui fabrique des pièces à la demande. Les perspectives sont prometteuses pour la fabrication de pièces légères pour la construction automobile et aéronautique, d’implants dentaires ou encore, de prothèses de hanche sur mesure. Tout cela, grâce à la possibilité d’adapter la conception sans peine.
L’atout des normes
Malgré les avantages évidents de la fabrication additive, il reste des points à régler. L’une des principales pierres d’achoppement dans l’application plus large de cette technologie tient à l’absence de cadre et de normes industrielles. La fabrication additive peut difficilement faire concurrence aux techniques traditionnelles. Pour les entreprises qui visent un taux rejet de quelques pièces sur un million d’unités produites, la FA ne pourra jamais s’aligner. Un ensemble de normes permettrait de garantir une reproductibilité homogène des pièces et de rassurer les entreprises et les fabricants quant à la sécurité et à la fiabilité des procédés, des matériaux et des technologies de FA.
Par où commencer ? Pour Jörg Lenz, Président du comité technique de l’ISO sur la fabrication additive, ISO/TC 261, l’un des enjeux consiste à « cerner quelles applications et quels types de pièces se prêtent à une normalisation dans ce domaine, et à les sélectionner en conséquence ». Compte tenu des avantages de cette technique – amélioration de la communication, accélération du développement des produits, et réduction du nombre de pièces défectueuses – la fabrication additive est traditionnellement utilisée pour l’alignement et l’ajustement, le prototypage pour l’outillage et les moules de pièces de fonderie, les maquettes, les aides visuelles, et l’enseignement et la recherche. Mais ce sont des domaines d’application bien établis qui n’appellent pas nécessairement de normes industrielles.
Selon Klas Boivie, animateur du groupe de travail WG 1, Terminologie, de l’ISO/TC 261, la fabrication de pièces fonctionnelles représente 29 % du marché et les composants d’outillage, 5,6 %. Compte tenu de l’utilisation généralisée de tous types de pièces remplissant des fonctions indispensables dans tous les secteurs, de l’aéronautique à la médecine en passant par l’orthodontie, il s’avère de plus en plus nécessaire d’établir des normes qui tiennent compte des exigences de chacun de ces secteurs.
Comme dans tous les domaines où sont établies des normes, le processus de normalisation doit suivre les besoins du marché. Il y a eu beaucoup de battage autour de la fabrication additive qui a suscité l’intérêt sur pratiquement tous les fronts. Or cette science nouvelle se développera et s’imposera à mesure que l’on en maîtrisera mieux la technologie. Par conséquent, les normes élaborées aujourd’hui doivent laisser de la place pour l’innovation. Pour M. Lenz, « des Normes internationales sont réellement indispensables pour apporter de la clarté et dissiper certaines inquiétudes, pour garantir la fiabilité, l’acceptation et la sécurité de cette technologie et pour la promouvoir sur le marché ».
Travail de groupe
Le processus de normalisation doit suivre les besoins du marché.
L’intérêt pour la normalisation dans le domaine de la fabrication additive est relativement récent. « L’initiative est venue du secteur lui-même » explique M. Boivie. « Il était évident que cette technologie se prêtait à une gamme beaucoup plus vaste d’applications industrielles. Pourtant, hormis pour quelques applications très particulières et peu critiques, l’industrie mettait du temps à l’utiliser et conservait des doutes. » C’est ce qui a motivé un groupe d’acteurs clés de la communauté internationale de la FA à amorcer des discussions en vue de la création de normes techniques pour la fabrication additive. Néanmoins, ce groupe n’étant pas certain d’obtenir un soutien international suffisant, l’initiative fut confiée à ASTM International (anciennement, American Society for Testing and Materials), avec la création en 2009 du comité F42 de l’ASTM sur les technologies de fabrication additive. En parallèle, l’Association des ingénieurs allemands (VDI) travaillait d’arrache-pied sur une série de lignes directrices pour ce que l’on appelait alors les « technologies rapides ». Ces lignes directrices ont finalement abouti en 2011 à la création de l’ISO/TC 261, dont le secrétariat est assuré par le DIN, membre de l’ISO pour l’Allemagne.
La communauté internationale de la FA était tellement restreinte que la plupart des experts invités à examiner la proposition de norme de la VDI participaient déjà au comité F42 de l’ASTM. La création de l’ISO/TC 261 souleva de vives inquiétudes quant à la redondance éventuelle des travaux ou, pire encore, l’élaboration de normes concurrentes. Heureusement, ce qui aurait pu être une source de discorde a débouché sur une collaboration fructueuse entre les deux organisations avec la conclusion d’un accord de partenariat entre l’ASTM et l’ISO.
Opportunités et contraintes
Malgré la nécessité impérieuse de normes pour encadrer ce secteur, la normalisation de la fabrication additive se heurte à des contraintes de temps et de financement. M. Boivie est bien placé pour en témoigner : « La participation aux activités de normalisation repose sur le principe du bénévolat, sans contrepartie financière, nous donc devons mener nos activités professionnelles habituelles en parallèle au développement des normes pour la FA. »
Si l’on veut que la fabrication additive tienne toutes ses promesses, il est important d’établir les bases qui garantiront la reproductibilité de ses composants. Leur principal atout, c’est que l’on peut en modifier la conception pour pouvoir obtenir une qualité et des performances supérieures. Or, ajoute M. Lenz, « nous devons également prévoir des procédures d’assurance qualité pour les cas où il n’existe pas de normes pour certaines pièces de FA, ou lorsque les normes existantes ne sont pas complètement applicables ».
Mais, dans l’intervalle, le nombre des organisations qui cherchent à exploiter la situation pour élaborer leurs propres normes de FA ne cesse d’augmenter, et il risque malgré tout d’y avoir des normes concurrentes dans ce secteur. Aux dires de M. Boivie, la communauté des experts engagés dans les travaux menés en collaboration par l’ASTM et l’ISO est manifestement celle qui, dans le monde, a les compétences les plus étendues. On peut donc vraiment craindre que les normes élaborées en dehors de ce contexte ne soient pas aussi abouties et que l’évolution de cette technologie en pâtisse.
Perspectives
Dans cette confusion apparente, il y a pourtant un plan. La priorité a été donnée à la terminologie et aux principes généraux qui serviront de socle à l’élaboration des normes à venir. Quant aux perspectives visées, M. Boivie pèse ses mots : « Le recours à une norme terminologique sur la FA dans une base de données ouverte constituera un grand pas pour diffuser et instaurer un langage commun dans ce secteur. »
Ce qui tenait autrefois de la science-fiction – l’aptitude à produire des objets à la demande – est en passe de devenir une réalité. La fabrication additive est une technologie porteuse qui permet de produire des pièces qu’il aurait été impossible ou impensable de concevoir dans le passé, ouvrant ainsi des perspectives infinies d’innovation. S’il est assurément difficile d’anticiper sur quoi cette technologie va déboucher, nous savons d’ores et déjà que l’avenir de la tri-dimension s’annonce sous de bons auspices. Et avec les normes qui se profilent, il y a fort à parier que la fabrication additive représentera bientôt un atout industriel, qui améliorera notre quotidien.
3 questions à propos de la fabrication additive
La fabrication additive (FA) est depuis toujours la passion de Jörg Lenz, Coordinateur des projets collaboratifs chez EOS GmbH, le leader du marché dans le domaine des technologies et solutions d’e-manufacturing intégrées appliquées à la fabrication additive. Fort de plus de 20 années d’expérience dans ce secteur, le Président de l’ISO/TC 261 nous dit pourquoi il est primordial d’élaborer des normes dans ce domaine.
Expliquez-nous la fabrication additive chez EOS.
Chez EOS, la FA concerne essentiellement le développement de solutions sur mesure pour nos clients, mais nous utilisons également des composants fabriqués par frittage laser dans nos propres produits (machines, appareils périphériques, etc.). Nos ingénieurs conçoivent les composants, qui peuvent être fabriqués en interne ou par des fournisseurs extérieurs, de sorte que nous avons l’expérience nécessaire pour prendre des décisions éclairées quant à la conception, la production, l’achat et l’utilisation des pièces de FA.
Quelle est la stratégie de normalisation d’EOS en matière de fabrication additive ? En quoi les normes ISO sont-elles importantes pour une entreprise comme EOS implantée dans le monde entier ?
Notre stratégie consiste à encourager activement et à appuyer la création de normes dans des domaines pertinents pour l’utilisation de nos produits. C’est une collaboration qui doit aller dans les deux sens. D’une part, les normes doivent promouvoir l’acceptation par l’industrie des pièces de FA, et servir les intérêts de nos clients ; d’autre part, il nous est plus facile de combler les besoins et les attentes de nos clients s’ils ont des exigences communes, fondées sur des normes. Les normes qui ont une portée mondiale, comme celles de l’ISO, permettent de réaliser ces objectifs beaucoup mieux qu’une multiplicité de normes distinctes (nationales, sectorielles, ou internes à l’entreprise) sur le même sujet.
En quoi la participation à l’ISO/TC 161, et à la normalisation en général,
aide-t-elle EOS dans ses propres activités ?
Cela nous permet, avant tout, de bien cerner les pré-férences de nos clients et de réaliser nos objectifs à long terme.