En route vers un avenir plus propre

Lu en quelques minutes
Par Robert Bartram
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Les pouvoirs publics, les entreprises et le consommateur lambda s’efforcent de réorganiser le quotidien pour ne plus consommer de combustibles fossiles, mais l’ampleur de la tâche peut paraître insurmontable. Se pose dès lors une question : que pourrions-nous faire pour que les choses changent ?

La « voiture propre » apporte peut-être un élément de réponse. On désigne, sous cette appellation, des véhicules à propulsion électrique qui utilisent soit des batteries, soit des piles à combustible fonctionnant avec de l’hydrogène embarqué, et, souvent, une solution hybride combinant ces deux technologies. Si l’on parle des voitures électriques depuis des années, ce n’est qu’aujourd’hui, avec les effets avérés du changement climatique, que des efforts suffisants sont déployés pour envisager de véritables perspectives commerciales. De fait, la mutation est déjà à nos portes. Ainsi, selon les chiffres mensuels publiés par la Société des constructeurs et concessionnaires automobiles (SMMT), les ventes de véhicules électriques au Royaume-Uni se sont envolées ces dernières années : le nombre d’immatriculations par mois est passé de 500 environ au premier semestre 2014 à 5 000 en moyenne en 20181).

Mais la production de ces véhicules ne va pas de soi, et avant qu’ils ne soient considérés comme des véhicules « ordinaires », les constructeurs et les automobilistes devront surmonter de nombreux obstacles. Comme l’affirme M. Yasuji Shibata, Directeur général du département Évaluation des véhicules à propulsion électrique de Toyota Motor Corporation, le premier objectif « est d’amener le véhicule à propulsion électrique au même niveau de performance et de fiabilité que les véhicules conventionnels, tout en veillant à ce que les coûts soient raisonnables ». Un deuxième objectif, étroitement lié au premier, est de garantir des performances correspondant aux besoins du client, en particulier en matière d’économies de carburant.

En pleine charge

Les véhicules électriques doivent être équipés d’un dispositif standard pour le raccordement aux points de ravitaillement standards.

Plus précisément, la performance d’une cellule (la plus petite unité électrique) et celle d’un assemblage de piles à combustible (l’ensemble des cellules) sont deux axes de travail clés. Les batteries présentent deux caractéristiques spécifiques : le stockage et la puissance de sortie. Contrairement aux réservoirs à essence, la capacité d’une batterie varie en fonction de la température ambiante et de son âge. Il faut aussi tenir compte de la différence entre véhicules à batterie et véhicules dotés d’une pile à combustible (à hydrogène) en termes de fourniture d’électricité, car l’électricité issue des batteries produit une quantité d’énergie électrique qui est finie. La difficulté réside dans le fait que, dans les véhicules de type chariots élévateurs notamment, l’électricité est consommée en permanence. Autrement dit, lorsque ces véhicules déplacent des objets, ils ont une moindre capacité à répondre aux pics de demande d’énergie, notamment pour soulever des charges ou monter des rampes. Il y a donc une perte continue d’efficacité et, par conséquent, de productivité.

À l’inverse, les voitures et les camions propulsés par une pile à combustible peuvent, eux, fonctionner à 100 % de leur capacité jusqu’à la dernière goutte de carburant. Étant donné que les batteries ne peuvent emmagasiner qu’une quantité d’énergie finie, la distance parcourue n’est pas très élevée, contrairement aux piles à combustible à hydrogène qui offrent une autonomie nettement plus grande. La différence est d’un facteur deux environ aujourd’hui, et trois peut-être dans un avenir proche. Cela tient en partie au fait que les voitures avec pile à combustible peuvent rouler plus longtemps et qu’elles sont moins sensibles aux effets météorologiques, sans oublier que leur durée de recharge (entre trois et cinq minutes) est plus courte. On est très loin d’une voiture de type Tesla, dont la recharge prend actuellement une vingtaine de minutes. Il est donc probable que les constructeurs proposeront à l’avenir une vraie hybridation de ces deux technologies.

Un certain nombre d’études semblent indiquer qu’il serait très facile de saturer le marché avec des voitures alimentées par batterie. Cela dit, le remplacement des automobiles à essence par des véhicules dotés de batteries n’est certainement pas aussi simple qu’il y paraît. En effet, la capacité du réseau de distribution d’électricité suffirait tout juste à faire face à un tel changement. Dans le cas de la production d’hydrogène, les variations d’électricité peuvent être étalées tout au long de la journée, ce qui explique pourquoi il est si important que les ingénieurs planchent sur une combinaison de solutions. Par ailleurs, il y a peu de chances que l’on parvienne à faire fonctionner des voitures avec une énergie directement renouvelable comme l’énergie solaire ou éolienne, voire nucléaire, car ces sources sont trop éloignées du véhicule. En revanche, avec un combustible à base d’hydrogène, l’électricité peut être distribuée au niveau de la sortie où elle est produite.

Ravitaillement d’un véhicule électrique à une borne de recharge sur la M40, Oxfordshire, Royaume-Uni.

Ami ou ennemi pour l’environnement ?

Il convient aussi de dire un mot sur la sécurité environnementale, et sur le danger de confondre carburant « vert » et carburant « propre ». Prenons le biocarburant par exemple : il est vert assurément, mais propre certainement pas. À juste titre, on a beaucoup mis l’accent sur les émissions de dioxyde de carbone, mais on a passé sous silence les quelque deux cents autres polluants émis par le moteur à combustion interne d’une citadine, qui sont nettement plus nuisibles à la santé. Les substances cancérogènes, par exemple, sont très présentes dans les gaz d’échappement des moteurs biodiesel, qui polluent autant que les moteurs diesel classiques.

Les voitures avec pile à combustible qui utilisent l’hydrogène comme carburant présentent une efficacité moyenne du cycle global d’utilisation du combustible (du puits à la roue) supérieure à celle d’un moteur à combustion interne utilisant un biocarburant comme le biodiesel. En fait, le plus grand avantage d’un véhicule avec pile à combustible fonctionnant à l’hydrogène est qu’il ne produit que de l’eau et de l’air qui ne présentent aucun danger pour l’environnement. Mais s’il est vrai que l’hydrogène comme combustible ne produit aucune émission, il est tout aussi vrai qu’il n’existe pas à l’état naturel sur la planète. Sa production met en œuvre certains processus comme l’électrolyse, qui nécessitent de l’électricité. Et trop souvent, cette énergie provient encore de combustibles fossiles.

Comment les Normes internationales peuvent-elles contribuer à relever ces multiples défis ? Cela va sans dire, comme pour tout autre domaine de normalisation, il faut parvenir à amener des produits identiques au même niveau de performance et de fiabilité, quel que soit leur lieu de production. Il faut aussi parvenir à réduire, dans chaque pays, la quantité de ressources nécessaire pour fabriquer un produit unique, et ainsi contribuer à la protection de l’environnement. En règle générale, l’obstacle principal à la normalisation internationale est l’harmonisation entre constructeurs. Après s’être intéressés aux véhicules électriques dotés de batterie, certains pays se réorientent à présent vers les voitures utilisant la technologie de la pile à combustible à l’hydrogène. Il existe un marché potentiel immense, qui croît rapidement ; l’harmonisation des Normes internationales est donc désormais une priorité majeure.

Les normes relatives au carburant

Le moteur de la Toyota Mirai, un véhicule à pile à combustible.

La norme ISO 17268 traite précisément des dispositifs de raccordement pour le ravitaillement des véhicules terrestres à hydrogène gazeux. Le raccord destiné au ravitaillement en hydrogène est normalisé par cette norme ISO dans le cas des pays disposant d’un marché de véhicules avec pile à combustible. Autrement dit, les consommateurs peuvent se ravitailler en hydrogène dans toute station pour pile à combustible fonctionnant à l’hydrogène en Chine, en Europe, au Japon, en Corée et aux États-Unis, entre autres. ISO 23828, qui porte également sur les véhicules routiers avec pile à combustible, est utilisée pour le mesurage de la consommation d’énergie des véhicules alimentés par hydrogène comprimé. La consommation de combustible, mentionnée dans le Règlement technique mondial no 15 utilisé à l’échelle internationale, est mesurée en appliquant la méthode décrite dans cette norme. La consommation de combustible ainsi mesurée sera utilisée par les pouvoirs publics pour qualifier les véhicules et les constructeurs qui appliquent cette méthode et sera un indicateur d’amélioration de l’efficacité des véhicules.

Chaque jour, certaines entraves routières, comme les feux de signalisation ou les limitations de vitesse, ralentissent les véhicules et, de ce fait, la demande d’énergie du train de transmission varie rapidement. Les véhicules avec pile à combustible disposent-ils de la puissance de traction attendue ? La norme ISO 20762 a été élaborée pour tester la puissance système maximale d’un véhicule hybride. Enfin, ISO 23274-1 a rendu possible le mesurage de la consommation de carburant en s’affranchissant de l’influence « trompeuse » du niveau de charge de la batterie lorsque l’on part d’un « état de charge » différent. Elle a aussi permis de tester l’état de charge dans différentes conditions de cycle, de chargement et de température.

Le comité technique ISO/TC 197, chargé de l’élaboration des normes sur les technologies de l’hydrogène, est présidé par Andrei V. Tchouvelev, l’un des plus grands spécialistes mondiaux en matière de sécurité, de réglementation, de normes et de codes relatifs à l’hydrogène. M. Tchouvelev œuvre dans le domaine de l’hydrogène depuis 35 ans. Après avoir quitté sa Russie natale pour le Canada, il a cofondé en 2003 le Programme canadien relatif à la sécurité de l’hydrogène (CHSP). Le comité qu’il préside ne traite pas directement des véhicules, mais il a élaboré une famille de normes qui concernent le ravitaillement, de sorte que tout ce qui a trait à l’interface entre le distributeur de la station-service et les voitures alimentées à l’hydrogène relève de sa compétence. Ces normes comprennent des exigences d’ordre général, mais aussi des exigences plus spécifiques, qui concernent divers composants comme le distributeur, le compresseur, les vannes, les raccords et les flexibles de ravitaillement.

«Hype», la toute première flotte de taxis au monde roulant à l’hydrogène, affiche fièrement son logo lors de la manifestation organisée en 2015 à l’occasion de son lancement.

Un terrain de jeu mondial

Plusieurs pays ont souscrit à la Directive de l’Union européenne sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs (Directive AFID) et à différentes séries de normes, pour lesquelles l’hydrogène constitue une infrastructure de carburant de substitution possible. La plus grande partie des travaux préparatoires pour la définition d’une base de normalisation au titre du mandat AFID a été menée par l’ISO/TC 197 et a porté sur les points de distribution, la qualité du combustible et les raccords. Ce comité participe également à la phase 2 du Règlement technique mondial no 13 sur les véhicules à hydrogène à pile à combustible. Il veille à ce que les exigences des Normes internationales qu’il définit soient compatibles avec celles du Règlement technique mondial. Cependant, bien que de nombreuses parties prenantes travaillent de concert, il est compliqué de définir les exigences nécessaires à l’établissement de règles du jeu.

« Les gens voudraient déplacer des montagnes maintenant et rapidement, mais ils n’ont peut-être pas les connaissances et les informations techniques suffisantes », explique M. Tchouvelev. La situation est compliquée, ajoute-t-il, car « nous vivons dans un monde où tout va très vite... et la Quatrième révolution industrielle constitue un véritable défi pour la normalisation ». Nous sommes face au dilemme de l’œuf et de la poule en quelque sorte, poursuit-il, car il faut déterminer quand élaborer une Norme internationale pour garantir la sécurité et la qualité de fonctionnement, tout en s’abstenant de restreindre la technologie, sachant que les voitures avec pile à combustible et les infrastructures de ravitaillement sont en développement depuis 15 ans.

Et le mouvement ne cesse de prendre de l’ampleur, car ces questions ne concernent pas seulement les voitures particulières, mais aussi les trains, les bus et les camions, sans oublier les applications à grande puissance, notamment dans l’industrie maritime, aéronautique ou aérospatiale. Le stockage d’énergie à bord d’un poids lourd pourra représenter 80 kg, tandis que celui d’une voiture à pile à combustible classique est de 5 kg environ. Maintenant donc, en plus des véhicules légers, il faut aussi élaborer des normes pour des quantités de stockage embarqué beaucoup plus grandes et répondre à la nécessité de recharger aussi vite que possible au moyen de flux d’énergie beaucoup plus importants. Outre ces questions de capacité, les piles à combustible et les batteries posent des problèmes de mise à l’échelle qui pourraient limiter leur utilisation pour des applications mobiles indépendantes à grande échelle. On peut citer la gestion de la température et de l’eau, et l’augmentation relative de la taille des équipements de refroidissement. C’est pourquoi l’hybridation des deux technologies – pile à combustible et batterie – pourrait offrir une solution très intéressante. Le besoin des fabricants de disposer de normes qui traitent ces questions est relativement nouveau, et l’élaboration des Normes internationales devra se poursuivre à un rythme soutenu, parallèlement au développement des véhicules électriques avec batterie ou pile à combustible, pour qu’elles s’imposent sur nos routes.


1) Next greencar, « Electric car market statistics » (consulté en février 2019)

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Elizabeth Gasiorowski-Denis
Rédactrice en chef d'ISOfocus